Le comte de Monte-Cristo

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“‘Le Comte de Monte-Cristo’ est fidèle aux lignes de force du roman”

Alors, cette nouvelle adaptation de Dumas, ça donne quoi ? Julie Anselmini, spécialiste de l’auteur, analyse la fidélité au roman du film de Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, en salles depuis le 28 juin.

« Pierre Niney est un merveilleux comte de Monte-Cristo. Il est élégant avec un côté dandy, mais il reflète également l’aspect sombre du personnage », Julie Anselmini.

« Pierre Niney est un merveilleux comte de Monte-Cristo. Il est élégant avec un côté dandy, mais il reflète également l’aspect sombre du personnage », Julie Anselmini. Photo Jérôme Prébois/Chapter 2/Pathé Films/M6


En salles depuis le vendredi 28 juin, l’adaptation cinématographique 

du Comte de Monte-Cristo par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte semble en bonne voie pour un succès au box-office. Mais cette nouvelle version, qui s’ajoute à une quarantaine d’autres, dont la minisérie de Josée Dayan diffusée sur TF1 en 1998, est-elle fidèle au récit d’Alexandre Dumas ? Réponses de Julie Anselmini, professeure de littérature à l’Université de Caen Normandie et spécialiste de l’auteur.

Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte ont-ils respecté l’œuvre ? 
C’est une adaptation très infidèle, mais globalement je suis vraiment enthousiaste. Même si le scénario se détache du récit de Dumas… 

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Cette adaptation démarre fort, in media res, en pleine nuit et au cœur d’une mer démontée. Là, le Pharaon, un navire marchand sur lequel travaille le jeune Edmond Dantès, croise un bâtiment en perdition. Une femme est à l’eau, au bord de la noyade. Edmond, le cœur vaillant, plonge et la sauve. Nous sommes en février 1815, peu avant Waterloo, une époque où il ne fait pas bon être bonapartiste. Or, Angèle, la jeune femme sauvée des eaux, est porteuse d’un ordre de mission signé de la main même de l’empereur, que lui confisque aussitôt le capitaine de bord, Danglars.

On connaît la suite : jaloux que l’armateur Morrel lui préfère Dantès pour commander son navire, Danglars ourdit un complot, avec l’aide du procureur Villefort et de Morcerf, l’ami d’Edmond, pour le faire passer pour bonapartiste, l’enlever aux siens le jour de son mariage avec la belle Mercédès, et l’envoyer dans une geôle du château d’If où il croupira pendant quatorze ans. Là, il rencontrera l’abbé Faria qui fera son éducation et sa fortune en lui révélant, avant de mourir, l’existence d’un trésor fabuleux. Parvenu enfin à s’évader, Edmond reviendra à Paris sous les nouveaux traits du richissime comte de Monte-Cristo pour se venger de ses anciens bourreaux


Par exemple, le personnage d’Angèle, sœur de Gérard de Villefort et conspiratrice bonapartiste, n’existe pas dans le roman : chez Dumas, c’est le père du procureur de Villefort qui trempe dans la conspiration. Ainsi, l'Angèle Noirtier de Villefort du film, que l'on découvre au début, sœur du procureur de Villefort, est la fusion du père napoléonien de Villefort et de Bertuccio, qui retrouve le bébé du procureur enfoui sous terre dans une boîte. » Selon le duo, c'est le bon exemple scénaristique de raccourci qui permet d'éviter le foisonnement.

De même, le personnage d’Haydée [incarné par Anamaria Vartolomei, ndlr] subit beaucoup de changements. Dans le livre, c’est elle qui dénonce au tribunal Fernand de Morcerf, qui a trahi son père, le pacha de Janina, en le vendant aux Turcs. Dans le film, elle devient surtout un personnage d’amante et oublie sa vengeance en tombant amoureuse d’Albert, le fils de Morcerf. Cette histoire d’amour n’existe pas dans le roman, puisque Haydée finit en réalité dans les bras… du comte de Monte-Cristo. Compte tenu du fait qu’il l’a recueillie, éduquée et de leur écart d’âge important, cette romance a peut-être été supprimée par bienséance. Toujours est-il que j’ai trouvé Haydée assez affadie par le scénario… En revanche, la métamorphose physique du comte par le biais d’un masque dans le film est une invention habile. Dans le roman, ce masque n’existe pas, mais il y a toute une dimension de l’intrigue liée au travestissement et à la théâtralité. Ici, on retrouve le goût de Dantès pour la mise en scène de soi puisque, tout comme dans le livre, il incarne les fictifs abbé Busoni (qui entourloupe Caderousse) et lord Halifax (lord Wilmore dans le roman).

Anamaria Vartolomei incarne Haydée, personnage qui subit beaucoup de changements dans cette adaptation : « J’ai trouvé Haydée assez affadie par le scénario… », Julie Anselmini.

Anamaria Vartolomei incarne Haydée, personnage qui subit beaucoup de changements dans cette adaptation : « J’ai trouvé Haydée assez affadie par le scénario… », Julie Anselmini. Photo Jérôme Prébois/Chapter 2/Pathé Films/M6

Suffit-il d’être fidèle à un récit pour que ce soit une bonne adaptation ?
Non, ce n’est sans doute pas le plus important. Ici, il y a une fidélité aux lignes de force de l’œuvre, par exemple le dilemme moral qu’implique la vengeance. Dans le roman, il y a des scènes de monologues intérieurs du comte dans lesquels il se demande s’il ne bascule pas du côté du mal, alors qu’au début il se présente comme « envoyé de Dieu ». J’ai trouvé cette problématique bien retranscrite par le film. L’intensité dramatique de certains passages, comme l’évasion du château d’If, est aussi fidèle au roman. De plus, s’il n’y a pas de fidélité à la langue de Dumas, la formulation des dialogues rappelle son génie stylistique. Par exemple lorsque Monte-Cristo déclare : « Je ne suis plus que le bras armé de la fatalité » ou encore lorsqu’il affirme à la face de Dieu : « Désormais, c’est moi qui vais remplir la tâche de justice où tu as échoué ».

Quel est votre avis sur Les Trois Mousquetaires, de Martin Bourboulon, dont l’adaptation était déjà signée Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte ? 
Je n’ai même pas voulu voir le deuxième volet du film, Milady… Le Comte de Monte-Cristo est infidèle en bien des points, mais j’ai beaucoup aimé la tension dramatique, la puissance de l’émotion, les questions morales soulevées. Alors que dans Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan, il y a non seulement de multiples infidélités, mais aussi une déperdition de l’esprit du roman. D’Artagnan y apparaît niais, les duels ressemblent à du catch… La question de la fidélité au récit n’est pas fondamentale, mais ici, la finesse et le génie comique de Dumas sont complètement inexistants.

Chez Dumas et les romantiques, il y a cette critique d’une société bourgeoise mesquine, qui s’éloigne des mœurs aristocratiques tout en les singeant.

Que pensez-vous du casting du Comte ? Pierre Niney est-il crédible ? 
Pierre Niney est un merveilleux comte de Monte-Cristo. Il est élégant avec un côté dandy, mais il reflète également l’aspect sombre, mélancolique et torturé du personnage. J’ai trouvé qu’il incarnait très bien le jeune Dantès du début, empli d’une grâce juvénile et de candeur. Anaïs Demoustier est aussi une très belle Mercédès. Elle transmet bien les facettes de son personnage, à la fois celle d’une femme qui n’a jamais oublié son amour de jeunesse, mais également d’une mère qui tente de sauver son fils. Il n’y a aucune erreur de casting. Le trio de méchants est aussi très crédible. Par ailleurs, pour un récit qui se déroule principalement durant la monarchie de Juillet, il n’est pas anodin que les ennemis du héros soient un banquier, un procureur et un militaire. Soit les rouages du pouvoir. Chez Dumas et les romantiques, il y a cette critique d’une société bourgeoise mesquine, qui s’éloigne des mœurs aristocratiques tout en les singeant, une société corrompue, traître, mensongère…

Alexandre Davy de la Pailleterie, dit Alexandre Dumas, vers 1860. « La formulation des dialogues rappelle le génie stylistique de Dumas », Julie Anselmini.

Alexandre Davy de la Pailleterie, dit Alexandre Dumas, vers 1860. « La formulation des dialogues rappelle le génie stylistique de Dumas », Julie Anselmini. Coll. LD/adoc-photos

Le film est en bonne voie pour faire un bon score au box-office, mais le récit de Dumas a-t-il connu un tel succès du vivant de l’auteur ?
Le Comte de Monte-Cristo est paru en roman-feuilleton dans le Journal des débats d’août 1844 à janvier 1846. Cela a été un gigantesque succès, comparable à celui de certaines séries télé ou Netflix de nos jours. Ce qui prouve que Monte-Cristo a bien fonctionné, ce sont aussi ses adaptations et contrefaçons. En Belgique, un plagiat du récit a vite circulé via des colporteurs. Le roman a aussi rapidement été adapté au théâtre, notamment par Dumas lui-même en 1848. Enfin, il y a eu des suites et réécritures, telles que Le Fils de Monte-Cristo (1881), de Jules Lermina, dans lequel l’auteur imagine que Dantès a eu un descendant. Ce nouveau film contribue à rejouer le succès de l’œuvre grâce à des acteurs à la mode, une esthétique visuelle assez contemporaine, des effets de caméra…

Après avoir vu le film, il y a des chances que certains spectateurs souhaitent (re)lire Dumas. Et justement, vous avez récemment édité un de ses romans méconnus…
Il s’agit de Création et Rédemption (Folio, 2024), dernier grand roman d’Alexandre Dumas. C’est un récit qui narre une histoire d’amour entre un médecin et sa pupille, dans le contexte historique de la Révolution française. On suit tous les événements importants de la période : le héros siège à l’Assemblée nationale aux côtés de Danton, on voit aussi le basculement dans la Terreur… Arrivé au soir de sa vie, Dumas y synthétise sa vision de l’Histoire. Cela devrait plaire à ceux qui ont aimé Le Comte de Monte-Cristo, car il y a des parentés, notamment dans la figuration du héros, qui doit réfléchir à la question de la justice et des représailles.

Le Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte (France, 2h58). En salles.

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