DES BRETONS AUX ANTILLES

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DES BRETONS AUX ANTILLES...

Jacques Delors ✝️

 


Le billet de Thomas Legrand

Jacques Delors, lui qui croyait au ciel chez ceux qui n’y croyaient pas




Grande figure de la gauche, l’ancien président de la Commission européenne et ancien ministre de François Mitterrand, décédé mercredi, incarnait une éthique ancrée notamment dans le catholicisme de gauche.
par Thomas Legrand

Il y a ces hommes et femmes politiques dont tout le monde loue les grandes capacités, la probité, l’humanisme, l’honnêteté et qui, donc, n’auront jamais été présidents : Pierre Mendès France, Michel Rocard, Simone Veil et Jacques Delors. Jacques Delors est celui qui l’a exprimé le plus clairement, en 1995, quand, après mûre réflexion, il a décidé de ne pas se présenter à l’élection présidentielle, cet exercice de narcissisme par lequel on est obligé de tenir un discours pour se faire élire qui ne correspond pas à ce que l’on pense utile pour le pays.

Les vertus, les qualités intellectuelles et humaines, les valeurs et principes ne pouvaient pas se combiner avec le minimum de malhonnêteté intellectuelle que requiert cette véritable plaie institutionnelle : le mode d’élection présidentielle à la française, machine à fantasmes, procédé qui pousse les candidats à considérer et faire admettre que la solution n’est pas un programme délibéré et négocié, mais lui ou elle-même, son «équation personnelle». Cette idée abêtissante ne va pas avec la social-démocratie, qui suppose un contrat entre les partenaires politiques et sociaux, tout le contraire de l’homme providentiel.

Syndicalisme chrétien

Mais il ne faudrait pas réduire Jacques Delors à l’homme qui a eu l’honnêteté de dire non au shoot septennal, puis quinquennal. Et honnis soit ceux qui disent que cette décision est un refus d’obstacle ! Jacques Delors, c’est bien autre chose. C’est l’éducation populaire (dans sa jeunesse il crée des clubs de cinéma dans des quartiers populaires), c’est le syndicalisme chrétien, c’est l’idée, avec Simon Nora, pour Jacques Chaban-Delmas, de moderniser la démocratie politique et sociale à la fin des années 1960 (la «nouvelle société»), c’est l’accompagnement et la crédibilité du programme économique de François Mitterrand en 1981, c’est la foi en l’Europe de Victor Hugo, l’intelligence du compromis, la capacité à créer, inventer des systèmes monétaires communautaires négociés, c’est le refus de l’esprit de clan ou de camp.

Ses petits yeux tombants laissaient paraître une certaine malice. Il ne faisait pas partie de ces gentils modérés qui, parce que ce ne sont pas des tueurs, finissent toujours par se faire avoir ou terminent glorieusement comme grands serviteurs de l’Etat mais dans l’ombre. Il pouvait avoir la dent dure et être ferme sur ses convictions et même buté. Il fallait l’être au milieu des années 80 pour imposer une certaine rigueur économique. C’était le temps où le mot «rigueur» en politique avait la même acception positive que dans tous les autres domaines. Ne vaut-il pas mieux être rigoureux ? Mais aujourd’hui, le mot «rigueur» veut dire austérité. Si Jacques Delors voulait des comptes publics et sociaux bien tenus, ce n’était pas par idéologie néolibérale (qui pourtant était à la mode à cette époque thatchero-reaganienne) mais pour que la France ne perde pas son indépendance et puisse aborder dans de bonnes conditions ce qui sera sans doute l’une de ses plus grandes œuvres : l’euro.

Pensée de la «deuxième gauche»

Jacques Delors était l’un des derniers représentants d’un courant catholique social inspiré par Marc Sangnier mais surtout Emmanuel Mounier et le personnalisme. Il dira à Alain Duhamel, pour France 2 en 1999, «c’est la pensée d’Emmanuel Mounier qui a toujours été mon fil conducteur». Une pensée qui met l’homme, la personne plus que l’individu, au centre de toutes choses, une pensée constitutive de ce que l’on appellera la «deuxième gauche» dont les grandes figures sont aussi Pierre Mendès France et Michel Rocard. Pour des raisons obscures, peut-être de caractère ou de stratégie (Jacques Delors pensait que François Mitterrand était plus à même de réunir la gauche), Michel Rocard et Jacques Delors n’auront pas été dans les mêmes courants du PS dans les années 70 et 80.

Il était catho de gauche, pratiquant mais qui rechignait à l’idée qu’un mouvement politique se réclame d’une religion depuis, disait-il, qu’il avait vu des athées convaincus aller à la mort certaine et se sacrifier pour la justice et la liberté pendant la guerre. Le clergé et les sommités catholiques étaient alors majoritairement pétainistes, puis majoritairement de droite après la guerre. Jacques Delors, qui croyait au ciel, avait suivi le mot d’Aragon dans «la Rose et le Réséda» : il était engagé plutôt avec ceux qui n’y croyaient pas.


Figure majuscule de la construction européenne et bâtisseur, entre 1985 et 1995, de l’Union actuelle, cet ancien de la Banque de France avait fait ses classes politiques à Matignon avec Chaban-Delmas époque «nouvelle société», avant de tenir les Finances en 1981 et de convertir Mitterrand à la rigueur. Il est mort mercredi 27 décembre à 98 ans.




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