DES BRETONS AUX ANTILLES

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Gustave Eiffel

 

Gérald Kergourlay, l’ingénieur breton devenu expert de Gustave Eiffel

Porté par une spectaculaire curiosité, Gérald Kergourlay est devenu à force de lectures et de recherches un expert d’Eiffel. En Bretagne, il a cherché à authentifier les ouvrages, réels ou supposés, du génial ingénieur devenu gloire nationale et dont on célèbre ce 27 décembre 2023, le centenaire de la mort.



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Gérald Kergourlay, un passionné qui est devenu un expert de Gustave Eiffel. Ici, dans les ateliers Crézé à Saint-Jacques-de-la-Lande près de Rennes où a été rénové un phare d’Eiffel.
JOEL LE GALL / OUEST-FRANCEVoi en plen 



La lecture est chose dangereuse. Un simple bouquin peut vous envoyer à Dijon (Côte-d’Or). C’est ce qu’a vécu Gérald Kergourlay, 49 ans. Il fouinait comme à son habitude dans les rayons de sa bibliothèque municipale près de Rennes où il emprunte le plus souvent des biographies d’artistes. « Cette fois-là, plutôt qu’une biographie de David Bowie, j’ai pris un livre de Michel Carmona sur Gustave Eiffel. C’est comme cela que tout a commencé. »


Fer puddlé et tour de force

De gauche à droite, la Tour Eiffel photographiée le 14 juin 1888, le 10 juillet 1888, le 26 décembre 1888 et le 20 janvier 1889. | AFP ARCHIVES

Il le lit une première fois en 2019. Laisse le Covid et deux années passer et y revient. En 2021, il s’offre une virée à Paris en famille. Le crochet par l’emblématique tour en fer puddlé est un immanquable.

Pour préparer l’escapade, beaucoup auraient potassé un guide touristique. Mais le père de famille n’est pas fait de ce métal-là. « J’ai lu plein d’articles scientifiques sur la tour. Plus sur la partie ingénierie qu’architecturale. Étonnamment, aucun ne répondait vraiment à cette question : comment il a été possible de l’ériger aussi vite, en seulement deux ans et deux mois ? »

Voilà la curiosité de cet ingénieur de haut niveau passé par Télécom Paris aiguisée. « Vous voyez, la tour Eiffel, c’est comme une fractale » lance-t-il au journaliste qui lui fait face et qui, non, ne voit pas du tout. « La forme générale basée sur des treillis ajourés et qui fait son esthétique, est la même plus on se rapproche. Il n’y a pas de mystère : tout est visible mais on peut passer une vie à essayer de la découvrir. »

Le mail de l’arrière arrière petite fille

Gustave Eiffel avec sa famille dans le jardin à Levallois-Perret. Photo prise vers 1875. | DOMAINE PUBLIC

Gérald Kergourlay aime bien comprendre. Vraiment comprendre. Et il est du genre persévérant. Vraiment persévérant. « J’avais une série de questions assez précises auxquelles je ne trouvais pas de réponses. J’ai envoyé un mail à Myriam Larnaudie-Eiffel. Elle m’a répondu tout de suite. »

L’arrière-arrière-petite-fille d’Eiffel, est la présidente de l’Association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE). La gardienne du temple. « C’est elle qui m’a parlé des phares pour la première fois. » La curiosité devient dévorante.

Le treizième phare d’Eiffel

Retour en avril 2023 du phare de la jetée de facture Eiffel après restauration. | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE

Car dans l’héritage du génie du fer il y a la tour bien sûr, les ponts évidemment mais aussi des phares métalliques. Un savoir-faire totalement oublié jusqu’en 2016 et la rédaction d’une thèse sur le sujet par un architecte estonien, Indrek Laos.
Cette information trouve un écho au bout du monde. À la pointe du Finistère nord, à Sibiril, des passionnés menés par Arnaud Lampire essayent de sauver leur petit phare de Moguériec. Mais la note est salée : 540 000 €. Une petite paternité eiffelienne débloquerait des fonds. Une enquête est menée. Un bon de commande est retrouvé, tenant lieu de preuve irréfutable.

Douze feux de jetée fabriqués en fer puddlé comme celui de Moguériec ont servi en France. « Treize. J’en ai trouvé un treizième : celui d’Etel, détruit en 1944 et que tout le monde avait oublié. Il n’y en a plus que cinq encore debout. Moguériec donc qui vient d’être restauré. Un à Menton, un à Trouville, un autre à Deauville et un à Fromentine en Vendée. »

Ce dernier, Gérald Kergourlay en a lui-même remonté le fil de sa généalogie. « Fromentine, c’est l’ancien phare de la pointe du Raz qui a été enlevé en 1887, déplacé à Saint-Nazaire, avant d’être installé à Fromentine en 1915. »

Les espaces sans tabac seront étendus aux plages, qu'en pensez-vous ?

Tueur de mythes

L’ingénieur breton est devenu le référent en Bretagne de l’ADGE. Il est capable d’authentifier le vrai. Et de démasquer le faux. Ainsi il a pu lui arriver de briser quelques fiertés locales. Le pont métallique enjambant le Scorff à Lorient ? « Ce n’est pas Eiffel mais Ernest Goüin. » Le pont de Frynaudour de Plourivo dans les Côtes-d’Armor ? « Sorti des ateliers d’Henri Joret. » Wikipédia n’est pas à jour.

Donc à l’exception de Moguériec, la Bretagne n’est pas une terre eiffelienne ? « Si, pour les tests des ponts portatifs démontables qui ont assuré la richesse de l’entreprise jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le premier essai ferroviaire civil mondial de ponts portatifs démontables a été mené en 1885 sur la ligne de Ploërmel Questembert. » Et peut-on en voir les vestiges ? « Non. » Impitoyable, le scientifique.

Kergourlay à Dijon, Eiffel au Panthéon

Mort à Paris le 27 décembre 1923, Eiffel est né le 15 décembre 1832 à Dijon. C’est là qu’en octobre s’est tenu un colloque autour du grand homme au « savoir fer ». Tout le monde est là. La famille, qui milite pour faire entrer l’aïeul au Panthéon. Les spécialistes les plus réputés.

Et c’est devant ce prestigieux parterre, qu’un Gérald Kergourlay, gagné par une légitime émotion, est invité à présenter une conférence sur les phares oubliés. Une forme de consécration. « J’ai pu y rencontrer Michel Carmona dont j’avais emprunté le livre à la bibliothèque quatre ans plus tôt. » Le bouquin qui avait déclenché cette passion dévorante. Et un peu folle ? « C’est ce que me reprochent parfois mes très proches. Mais j’ai besoin de ça pour m’évader. Creuser un sujet. En faire le tour. »

Eiffel, bientôt un « grand homme » ?

Une demande de panthéonisation a été déposée en début d’année à l’Élysée par les descendants d’Eiffel réunis au sein de l’Association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE). Une façon d’honorer celui qui a fait « rayonner l’image de la France dans le monde entier », ce « dirigeant aux idées sociales avancées » incarnant « la France Industrielle » a argumenté son arrière-arrière-petite-fille. Il viendrait renforcer les rangs assez clairsemés des scientifiques en rejoignant notamment Pierre et Marie Curie.

Cent ans

Un timbre commémoratif, une exposition labellisée par l’Unesco, des documentaires : pour le centenaire de sa mort, Gustave Eiffel qui s’est éteint le 27 décembre 1923 à l’âge de 91 ans, a reçu un hommage à la hauteur de sa tour devenue le symbole du pays et qui accueille près six millions de visiteurs chaque année. Un spectacle enregistré récemment sur la tour et orchestré par DJ Michael Canitrot sera diffusé le 27 décembre 2023 à la télévision et sur les réseaux sociaux.

Sa maison du vent à Ploumanac’h

Gustave Eiffel n’aurait découvert la Bretagne qu’à un âge avancé. Il a en effet 71 ans lorsqu’il fait bâtir en 1903 à Ploumanac’h, au cœur de la côte de Granit Rose dans les Côtes-d’Armor, une imposante bâtisse qui domine la mer pour l’un de ses fils, Albert. Gustave s’y rendra à plusieurs reprises et équipera la Villa Ker Avel, la maison du vent en breton, d’une station météo. Elle restera propriété de la famille jusqu’en 2016.