DES BRETONS AUX ANTILLES

DES BRETONS AUX ANTILLES
DES BRETONS AUX ANTILLES...

LA MÉMOIRE ET LA MER 




La marée, je l'ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur, 
de mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend comment

On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années lumières et j'en laisse
Je suis le fantôme jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baiser
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre

Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle

Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude

Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le matin mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords 

Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors 
Pour le retour des camarades 
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen

Les coquillages figurant
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu'on dirait l'Espagne livide
Dieux des granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Dans cette mer jamais étale
D'où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles
Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du fla-fla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sur mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue, aux musiques mortes
C'est fini, la mer, c'est fini
Sur la plage, le sable bêle
Comme des moutons d'infini...
Quand la mer bergère m'appelle




Cette chanson, il a commencé à l’écrire au début des années 60 dans une version comportant 55 strophes de 8 octosyllabes. Ferré en modifia sans cesse le nom et les paroles d’abord appelée Les chants de la Fureur puis Ma Bretagne à Moi, la chanson sortira finalement sous le titre La mémoire et la Mer comportant seulement 10 strophes. Les chansons La Mer Noire, Géométriquement Tien (1976), Des mots (1979), FLB (1980) et La Marge, Christie (1981) sont composées des strophes abandonnées pour La Mémoire et la Mer. La mélodie très simple de cette chanson, un triolet ressemblant à celui d’Avec le Temps, mêlé à la voix nostalgique de Ferré sur des paroles envoûtantes, lyriques en font une œuvre magnifique et émouvante, bien qu’un peu hermétique. Il n’est pas étonnant de la voir reprise par de nombreux artistes ou citée comme référence, à l’image d’un autre grand de la chanson française, Hubert Felix Thifeaine qui a déclaré que « La Mémoire et la Mer est unique, c’est une révolution dans la chanson »


EN BLEU TEXTE DE Jacques LAYANI 

 Cette version "complète" a été aussi "dite à voix nue" par le grand ami de Léo Richard Martin à Marseille...

la mémoire et la mer
Le dernier cahier d'études paru sur Ferré (le N°11) ne parle quasiment que de ce "poème-fondateur"
Pendant 16 ans Ferré travaillera ce texte dont un des titres est "Guesclin 1" du nom de l'île du Guesclin où il habita (pas loin de St Malo et Cancale) ; finalement voici 55 strophes, chacune de huit octosyllabes ; chef d'oeuvre de poésie surréaliste, chef d'oeuvre de la chanson... C'est un texte hautement autobiographique qui peut sembler bien hermétique. Ce texte lu devient réellement "surréel", les mélanges de sexe, de mer, de mots... Au final, donc, 7 chansons naitront de ce poème-fleuve. L'histoire retiendra essentiellement "La mémoire et la mer" dont même Léo s'étonnera du succès, le texte étant hermétique nettement et compréhensible pour ceux qui ont les clés (en d'autres termes, les gens qui connaissent bien la vie du poète et ses amis). 

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Je viens à l'instant de découvrir la version récitée de Jean-Baptiste Mersiol ; cela dure plus de 14 minutes et c'est 14 minutes d'un bonheur intense et magique ; la voix est légèrement monotone, le texte est dit dans une longue mélopée - litanie maritime -, les changements de tons sont rares donnant à l'ensemble une cohérence et une puissance insolite et sublime. 
Je suis heureux de voir que le plus grand poète chanteur de tous les temps puisse être encore interprété avec un tel langage ! Bravo !